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JEUX DE LUMIERE


« L'architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés
sous la lumière », Le Corbusier


Eclairage naturel ou artificiel ?


Considérons un paysage par temps gris : la couche nuageuse uniforme diffuse la lumière du
soleil en supprimant toute ombre, donc tout relief. L'éclairage uniforme, homogène donne la
même importance à tous les éléments disposés dans l'espace de façon statique, objective.
Il suffit qu'un trou de ciel bleu déchire le lit de nuages pour qu'un rayon de soleil illumine un
champ de blé et recentre le panorama sur cet élément comme le ferait un projecteur de
théâtre. Un premier plan, puis une succession de plans s'organisent dans le champ de vision.
Le paysage s'anime. La vie s'installe.
Si l'on regarde le soleil à travers les branchages ou bien l'eau qui brille au soleil, un autre
effet apparaît, celui du scintillement, de l'éclat, c'est à dire de la multiplication de points
lumineux précis et mouvants.
Ces effets lumineux que l'on trouve chaque jour dans la nature, qui manifestent la richesse
de l'éclairage solaire, nous pouvons les prendre comme points de repère pour créer des
ambiances lumineuses artificielles dans l'espace intérieur, ou extérieur de nuit, avec les
moyens en évolution permanente de l'appareillage électrique, sans, bien sûr, vouloir imiter
les phénomènes naturels.


Une typologie


Richard Kelly, éclairagiste américain qui a travaillé dans les années 1950-70 avec des
architectes comme Philip Johnson ou Louis Kahn, a défini et classé ces trois phénomènes
ainsi : « ambient luminescence », c'est à dire la lumière diffuse d'ambiance, « focal glow »,
c'est à dire l'éclairage focal et « play of brilliants », le scintillement.


 La lumière d'ambiance est diffuse : c'est tout un mur ou tout un plafond qui renvoie
une lumière homogène, produite par la lumière du jour zénithale filtrée ou bien par
des éclairages indirects centralisés ou répartis en rampes dissimulées dans des
corniches, ou encore par un éclairage diffusant derrière des parois opalines.
Par exemple dans la fameuse Maison de Verre (Maison Dalsace à Paris, 1930), Pierre
Chareau fait entrer la lumière du jour par une très grande paroi de pavés de verre
translucides, qui ne laisse pas passer le regard vers la réalité du Paris ancien, puisque
cet espace est pensé comme un manifeste du modernisme. Le soir, cette paroi est
illuminée par de gros projecteurs extérieurs, afin de prolonger et tenter de reproduire
l'éclairage diurne. Dans ce grand hall les vues en contre-jour sont ainsi privilégiées,
ce qui déstabilise légèrement le visiteur.


Kelly a mis au point pour Louis Kahn au Kimbel Art Museum de Fort Worth, Texas,
un réflecteur métallique perforé qui court sous les voûtes fendues sur toute leur
longueur à leur sommet. Celui-ci projette une lumière du jour argentée sur le béton,
tout en la diffusant doucement par les perforations et en intégrant, pour le soir, un
éclairage artificiel complexe.
Un tel éclairage d'ambiance permet de juger objectivement des composantes d'une
scène, sans aucune accentuation qui déséquilibrerait. C'est un éclairage qui inspire le
calme, mais n'induit en revanche aucune dynamique dans l'espace.


 L'éclairage focal est celui des spots : on projette une tache de lumière sur une
surface, un objet ou bien une plage d'activité. Là également, on s'efforce de cacher la
source de lumière, afin d'éviter l'éblouissement.
Un exemple extrême, peu souhaitable, est donné par les expositions de peintures
éclairées uniquement par des projecteurs à caches qui concentrent l'attention sur les
oeuvres : l'espace n'existe plus, perdu dans le noir.
Mais c'est aussi, bien évidemment, ce type d'éclairage focal qui met en valeur une
forme, lui donne une ombre, la fait tourner. La volonté d'accentuer ainsi tel ou tel
objet ou telle activité fait preuve d'une intention précise et donne son sens à l'espace.


 Le scintillement, lui, est produit par une multitude de points de forte intensité
lumineuse qui se détachent d'un fond non éclairé. Il est obtenu par la multiplication
de sources de lumière, ou par les reflets diffractés et éclatés d'une seule source. C'est
l'éclairage dynamique de la fête, avec ses lustres de cristal, ses girlandes lumineuses
dans la nuit, celui qui induit le mouvement et annihile tout sens de l'orientation. Il
peut être éblouissant, déstabilisant, mais, composé avec d'autres types d'éclairage, il
devient indispensable à la vie. Il est un élément euphorisant de l'ambiance, comme
les bougies que l'on ajoute sur la table du dîner.


Le phénomène est sensible au moment où, dans une grande ville, les lumières
artificielles, une multitude de sources lumineuses ponctuelles, s'équilibrent en
intensité avec la lumière du crépuscule : c'est un moment magique.


Ridley Scott, dans son film Blade Runner, a proscrit tout éclairage dont la source
n'est pas visible dans le champ de l'image : il en résulte un jeu lumineux où la
réflexion de la lumière sur des surfaces est secondaire par rapport au scintillement, et
il crée ainsi un dépaysement total un espace paradoxal.
Si la luminescence s'apparente aussi à la lumière lunaire et l'éclairage focal aux
rayons du soleil, le scintillement évoque, lui, la nuit étoilée.


Etude de cas


Ces trois catégories de lumière dénotent évidemment la recherche d'une époque et Kelly les
a appliquées dans l'architecture spécifique du Style international (le Mouvement Moderne
américain d'après guerre). Il préconisait de conjuguer les trois types d'éclairage pour réaliser
une ambiance réussie. On recherchait alors à satisfaire aux besoins de l'activité, aux besoins
biologiques, à la nécessité de s'orienter dans l'espace et de communiquer : c'est le
classement d'un autre éclairagiste américain de l'époque, William Lam. Mais c'est pour nous
un outil extrêmement utile et une grille d'analyse qui permet de juger ou d'apprécier un
projet d'éclairage.


Cependant la vraie personnalité d'une ambiance lumineuse se trouve probablement dans le
choix d'un déséquilibre plus ou moins affirmé entre ces trois propositions : c'est la
prépondérance de l'un de ces trois types d 'éclairage qui va donner sa qualité à l'atmosphère.


On peut rechercher une ambiance minimaliste, comme l'architecte Kazuo Sejima, par
exemple, et orchestrer un éclairage fait de plans diffuseurs, créant un jeu de transparences.
C'est l'intensité différenciée de la luminescence qui crée l'effet spatial, dans un bain de
lumière un peu incertain, mais rassurant, presque liquide. L'espace est perçu comme une
matière en soi, dans ce « sfumato », qui est aussi l'objet des recherches, à la limite du vertige
spatial, de l'artiste James Turrell.


A l'inverse les effets de contre-jour, que l'on trouve souvent dans l'architecture japonaise
traditionnelle, et que Tanizaki a si bien définis dans L'Eloge de l'Ombre, proposent
également une perte de repères dans l'espace, les distances étant éliminées par l'interposition
d'objets ou parois sombres sur fond plus lumineux, dans un espace organisé en profondeur.
Le sol rythmé par les tatamis est la seule référence, alors que le plafond se perd dans l'ombre
insondable.


On peut aussi organiser un espace en disposant successivement des séquences lumineuses,
et c'est cette alternance de lumière - ombre - lumière – ombre qui engendre la profondeur.
Avant tout, un éclairage est fait d'équilibres subtils entre les sources de lumière visibles, plus
ou moins diffuses et les réflexions sur des plans plus ou moins lumineux et colorés.


Luminaires


Comme Alvar Aalto en a donné l'exemple magistralement, on peut retrouver dans la
conception d'un luminaire les principes architecturaux dont nous avons parlé, repris en
miniature : le même luminaire peut offrir, à son échelle, la combinaison d'une lumière
d'ambiance, d'un éclairage focal et du scintillement, avec une source unique.


Dans le travail de Pierre Guariche, nous sommes confrontés de façon palpable à ce jeu très
raffiné : lumière diffuse produite par une ampoule sur le réflecteur en tôle métallique
finement perforé comme un ciel étoilé, qui, a son tour, projette la lumière sur le mur ou le
plafond, éclairage focal dirigé sur un ouvrage, mais dont le cache est percé d'une couronne
de perforations qui révèlent la source de la lumière, assurant un passage gradué entre le
lumineux et l'opaque, tout en évoquant l'excitation du scintillement. Il a expérimenté les
diverses sources d'éclairage de son temps en développant des réflecteurs aux formes
oniriques et en réalisant des montages ingénieux et merveilleusement dessinés pour assurer
le mouvement, en exaltant le principe même de mobilité.

bernard wauthier architect